
Mon beau-frère Jean Guy va mourir jeudi.
C’est vite comme demain.
J’écris ce texte dans sa chambre d’hôpital.
Sur une musique d’André Gagnon.
Sa femme est au chevet de « son chéri. »
C’est ma soeur.
Sereine. Bien. Calme.
Sa fille est toujours là aussi.
Jeudi 10h30. Ce sera la fin de vie de Jean-Guy.
En pleine saison des lilas. Quand le printemps sent bon.
Jeudi 10h30. Entouré des siens.
C’est le rendez-vous que le médecin lui a donné pour partir…
Jean-Guy a choisi bien sereinement son rendez-vous.
Jean-Guy sera la 8e personne dans cet hôpital de la Mauricie qui aura pris LA décision de mourir depuis l’adoption de la loi. Et pour le médecin qui va administrer le fameux sérum du bonheur éternel, ce sera aussi pour lui, SA première fois.
Il lui a dit: « Monsieur je serai avec vous.
Jusqu’à la dernière seconde. »
Jusqu’à la fin de votre dernière seconde de vie. »
Jean-Guy lui a dit: Merci.
Toujours conscient, mais fragilisé et rongé par la maladie.
Mon beau-frère a demandé, il y a trois jours, de recevoir des soins de fin de vie.
L’aide médicale à mourir.
Ca discute pas mal de ça au parlement canadien ces temps-ci.
Il y a les pours. Les contres. Les indécis. Et nous…
Nous qui respectons d’abord le choix de Jean-Guy.
Alité. Sans force. Il a demandé de l’aide pour partir en paix.
Dans sa condition, on ne peut pas dire non.
Oui. Il sera parmi les dizaines de personnes du Québec à choisir de vivre le voyage ultime, depuis l’adoption de la nouvelle loi.
Son choix.
Et moi
Je ne pensais pas que j’allais vivre aussi rapidement, avec un proche bien aimé, nos familles, le processus d’un accompagnement de fin de vie.
Un processus qui nous questionne. Nous rassemble. Nous fait raconter le meilleur de l’autre. Un processus qui nous fait creuser dans le respect de la vie. De nos vies.
Un processus qui demande du respect tout court.
Parce que…
Etre d’accord avec la loi de fin de vie. C’est une chose.
Mais.
Recevoir l’appel de ta soeur qui te dit que son « chéri » partira un jeudi à 10h30
Eh bien!
C’est la première fois que la vie me donne un rendez-vous avec sa fin!
C’est ça qu’il faut apprendre je crois.
Ce soir encore. Jean-Guy est conscient. Sa voix est faible. Mais elle peut encore nous faire rire. C’est un farceur mon valeureux beauf! Il a des expressions dans son langage cru qu’on ne peut répéter!
Mais qui nous font encore tellement rire!
Nous savions que Jean-Guy désirait ne pas étirer sa fin pour rien.
Vendredi dernier. Seul avec. Main dans la main. Nous discutions ensemble. Et je comprenais bien son souhait de ne pas traîner et s’étioler comme une fleur fannée.
J’était bien d’accord avec lui.
Atteint des cancers du foi et des poumons depuis quelques mois. Après avoir tenté de passer au travers d’un cancer du pancréas qu’on lui a retiré. Depuis trois ans, mon beau-frère de 67 ans, a lutté pas mal pour sa vie. Il s’est rendu trois fois en Allemagne à la clinique du Docteur Thomas Vogl pour prolonger son temps.. Jean-Guy voulait tout essayé pour gagner du temps. Mon beau-frère pense bien que le docteur allemand et ses traitements par micro-ondes lui ont procuré au moins quelques jours de plus. En tout cas, me dit-il, il ne regrette pas d’y être allé.
Jean-Guy voulait vivre. Mais VIVRE debout.
Alors n’allez pas pensé qu’il n’a pas essayé. Ou encore que c’est par manque de courage qu’il a décidé de ne pas aller jusqu’au bout de sa mort naturelle qu’on aurait engourdi, de toute manière, dans son inconscience.
Non. Il a préféré le temps des lilas pour partir.
Le savait-il?
Non
Mais ça sent bon une fin de vie choisie comme ça.

A sa demande. Il souhaite rester le plus longtemps possible. Conscient. Jusqu’à demain. On soulage sa souffrance. Mais il préfère endurer un peu…Pour demeurer conscient. Pace qu’il faut rester un peu conscient pour arriver à la ligne du départ…
Mon beau-frère veut garder sa vie allumée jusqu’au bout de son ultime départ.
Jusqu’au bout de ses forces. Au bout du plus beau du conscient.
J’ai eu le privilège d’en jaser ouvertement avec lui.
Jean-Guy a été tellement généreux avec moi.
Je voulais savoir comment on décide? Comment on fait?
C’est pour ça que j’écris ce texte. Non pas pour exprimer une peine.
Non.
Simplement pour mieux comprendre.
Entrepreneur.
Ce simple chauffeur de camions
et maître des plus grosses pelles mécaniques explique SA vie comme un grand philosophe.
Je le trouvais inspirant quand il me disait qu’il avait tout donné pour aller au bout.
Pour une fois que c’était la vie qui devancait la Mort.
Et non l’inverse.
Je trouvais ça inspirant à écouter.
J’ai remercié Jean-Guy de dessiner pour nous , sa famille, le possible chemin que nous pourrions emprunter. Si un jour…
Si comme lui, la maladie changeait définitivement notre destin.
Et qu’on décidait de choisir l’aide médicale à mourir.
Il me semble que je serai plus solide à cause de Jean-Guy
A cause d’un simple chauffeur de pelle mécanique…
Comme quoi des fois, les plus simples sont les plus grands.
Il souriait quand je lui disais ça.
Il me prenait la main. Puis on se serrait. Deux fois comme ça.
Pour un vrai gars comme lui c’était pas coutume.
De serrer un autre gars:-)
J’ai ressenti sa tendresse.
Et ça la tendresse. C’est ce qu’on peut ressentir le plus.
Surtout. Quand on est conscient comme ça jusqu’à la fin.
-Je lui ai demandé s’il avait peur de mourir. Non me dit-il.
-Je lui ai demandé s’il pensait avoir pris la bonne décision.
-Oui. La meilleure de ma fin de vie.
-C’est pour ça que j’ai voulu vous voir. Tous à la maison. Une dernière fois aujourd’hui.
Hier. Mon beau-frère a rassemblé toute sa famille . Dans sa maison. Nous avons levé un verre à sa vie.
On se racontait nos souvenirs.
Habituellement. On regarde quelqu’un mourir.
Là. On le regardait nous choisir.
Les lumières se ferment dans l’hôpital.
Sa femme.
Elle crée le calme qu’il faut pour se rendre jusqu’au bout.
« Chéri veux-tu de l’eau? »
Leur amour simple et pur de 45 ans oxygène la chambre.
Sa fille est sa plus grande aidante.
Elle est son ange gardien.
Et. C’est elle qui va lui poser les ailes.
Son gendre le regarde avec douceur. Il réconforte.
Les médecins et le personnel soignant sont discrets.
Les familles sont aidantes.
Mélange de rires et de larmes.
C’est normal.
Nous ne sommes pas habitués à des fins comme ça.
Nous apprenons encore…
Comme les petits enfants qui apprennent à dessiner mais qui savent comment aimer sans expliquer.

Nous apprenons comment vivre la fin d’une Vie.
Jean Guy n’a pas choisi la fin de sa mort.
Il a choisi…La fin de sa vie.
Et je vous dirais sincèrement. C’est Beau La Vie!
Quand on la choisit comme lui. LA VIE.
Jeudi dix heures et demi. Demain.
Elle sentira bon la vie…Les lilas seront fleuris.
Je lui ai dit à Jean Guy.
Tu sais mon ami, ta famille ne verra plus jamais les lilas comme avant.
Tu sais mon ami. Quand on regardera une talle de lilas.
On pensera à toi… Pour la vie!
Bonne nuit…
A jeudi! 10h30
Avant de quitter la chambre, j’ai lu mon texte à Jean-Guy...Je me suis approché.
Avec toute la force qui lui reste, il m’a embrassé.
Ce matin, en plubliant mon texte, nous apprenons que Le Parlement d’Ottawa a adopté la loi pour l’Aide Médicale à Mourir. Le Sénat maintenant…Le Sénat mon Jean-Guy. Tu sais ce qu’on en pense toi et moi:-)
Écoutez Michel Legrand & ses amis par Various Artists sur @AppleMusic.
https://itun.es/ca/06Ey_ La valse des lilas