Il est mort le cueilleur d’eau

2021-01-18

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Le souffle court! Pas à cause de la maudite covid qu’il craignait comme la peste. Non, en raison d’une sournoise pneumonie qui l’a traquée juste avant le temps des fêtes. Et malgré sa crainte de se retrouver à l’hôpital ces temps-ci, il a bien fallu se rendre à l’évidence. Se résigner, il faut apprendre ça aussi quand on vieillit.

Monsieur Jean-Marie est revenu à la maison, deux jours avant Noël.
Avec encore quelques reliquats d’une pneumonie sur ses poumons de 93 ans. Confiné en plus dans son appart pour les 14 jours. Jour de Noël et jour de l’an inclus! Triste à mourir, je vous entends.
Vous dire combien il avait hâte de sortir de sa chaumière.
Mais son souffle trop court escamotait encore des mots quand il parlait.
Sa respiration sifflante inquiétait.

« Regarde, j’ai sorti ma canne. Je pensais jamais me servir de ça »
Il me dit ça, avec l’espace d’un sourire dans ses lèvres
et des yeux trempés dans sa sage émotion.
Et la journée même. Avec la confiance de Claire , l’ange de nos beaux vieux,
il décidait ensemble, qu’il valait mieux…hélas et malgré, retourner à l’hôpital.
Pour ne pas mourir étouffer.
Parce que ça, étouffer, ça doit être bien plus terrible que simplement mourir…

À chaque printemps, Jean Marie entaillait ses 4 érables dans le jardin. À chaque saison, quand le soleil réchauffait le pied des arbres à sucre et que la sève montait, monsieur Jean-Marie chaussait ses bottes de caoutchouc. Il partait avec la perforeuse et ses chalumeaux pour aller trouer les érables.
Il savait à part ça, quelles érables il fallait chatouiller
pour leur donner l’envie printanière de couler!
Les plus généreuses!
Les plus amoureuses du soleil du jour et de la gelée, la nuit.
« Celle-là, je l’aime » disait-il en souriant le sucrier de nos beaux vieux!

En cette journée de grosse neige, il est mort le cueilleur d’eau d’érable.

Je vous écris ça avec du chagrin dans les mots.
Mais il faut dire qu’ici…
Ici, on l’apprivoise le chagrin quand le chagrin
c’est pour le mieux pour nos « beaux vieux. »
Et pour monsieur Jean-Marie, son départ aussi rapide, c’est une bonne nouvelle! Partir quand la vie nous fait le cadeau de ne pas pâtir. C’est mieux.
Au jour de l’an, quand nous nous sommes dit « Bonne Année »
dans le cadre de la porte…Il restait la santé à nous souhaiter.
La santé…
Puis avec des mots francs comme du bois d’érable il dit:


« C’est le début de la fin Daniel .
Les clés de mon auto sont dans mon manteau.
Et j’ai du bon sucre à la crème pour Claire et toi dans mon frigo…
»


Un poème comme ça le premier jour de l’année, c’est beau!
Surtout quand il s’agit des derniers plus beaux mots entre deux amis…

Au printemps de la Covid.
Le cueilleur d’eau a entaillé ses érables une dernière fois.
Quand viendra le nouveau temps des sucres après l’hiver.
Le temps d’un meilleur printemps pour nous tous. Sans la peur, espérons-le.
J’entaillerai les 4 belles généreuses du jardin et nous lèverons un verre à la mémoire du cueilleur d’eau d’érable. Et jusqu’à la dernière saison de notre vie, quand viendra le temps des sucres, nous penserons à ce petit bout d’homme extraordinaire.
À ce géant brillant et ce goûteur à fond de la vie.
À cet ingénieur et « patenteux » chez Bombardier.
À ce dévoreur de bouquins jusqu’à mon Dernier Je t’aime qu’il a lu sur sa musique classique. À cet amoureux du Québec.
Ce défenseur de sa langue et de notre culture.
À cet autre bâtisseur qui s’en va…
À monsieur Jean-Marie…le cueilleur d’eau, l’ ami des érables.

Tendresse à ses deux enfants. Sa famille Massicotte.
À sa compagne de table, mademoiselle Monique.
Comme il devait rester dans sa chambre, il avait demandé à la cuisinière de livrer à la centenaire, une carte de souhaits le jour de son 101e anniversaire.
Il savait créer des liens ce cueilleur d’eau sucrée.

Le cueilleur d’eau d’érable, Jean-Marie Massicotte, décédé le samedi 17 janvier 2021 à l’âge de 93 ans. Il résidait à la Villa Saint-Narcisse.

danielb

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