La grande peine

2015-07-12

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Pour la première fois de ma vie, j’ai assisté à une journée de procès. J’ai profité de l’expertise de ma collègue journaliste et avocate Sarah Désilets Rousseau pour me guider dans cette première expérience. M’expliquer.
Et ensuite en silence. Entrer. Immobile pendant 3 heures. Au Palais.
Je la remercie sincèrement.
Oui. Vous devinez bien qu’il s’agit du procès du triple meurtres qui se déroule actuellement au Palais de Justice de Trois-Rivières. Un matin de février en 2014 à Trois-Rivières, un mardi, 4 jours avant la Saint-Valentin, dans la maison familiale des deux jeunes filles, deux garçons, 16 et 17 ans, sonnent à la porte d’une bonne famille. Équipé d’un attirail pour martyriser la maman des deux filles et de fusils pour chasser les bêtes, le plus vieux aurait d’abord, tiré, une balle dans la tête, à bout portant, sur l’aînée des soeurs. Elle se trouvait là, dans la maison, ce matin-là.
Ensuite le plus jeune des ados- tueurs. Celui qui a orchestré tout ça. LUI. Le petit lui qui était là quand je suis allé au Palais de Justice. Je l’ai vu. De mes yeux…Vus.
Le misérable petit lui.
Il a dirigé son fusil vers le garçon. Il l’a abattu froidement. Ensuite. Il a assassiné la plus jeune des soeurs. Trois meurtres. Trente secondes.
Je fais juste raconter un brin de l’histoire. Ce que j’ai entendu en regardant la vidéo  de l’interrogatoire du plus jeune des deux accusés m’a bouleversé. On sait que les deux garçons ont reconnu leur culpabilité.
Le récit de ce qui s’est passé est atroce à entendre.
C’est ma première expérience au Palais de Justice. Je savais que cela allait être difficile .
Mais je n’ai pas choisi ce procès pour rien. Ni par curiosité. La journée du drame, la vie a voulu que je parle à une personne touchée à l’extrême par ce drame. Je n irai pas plus loin.
Mais. Je sais depuis, comment la douleur tremble dans l’Abîme  humain. C’est terrible.
Depuis cette journée-là.
Depuis le Palais…
J’essaie d’écrire.
J’efface.
Je recommence…
On ne peut plus nommer les victimes.
Ni les montrer maintenant.
Pour une soit disante, histoire de jalousie amoureuse ou je ne sais quoi… Le mal enraciné dans son âme malade. Détraqué et trempé dans sa plus profonde consciente existence ou inconsciente détresse diabolique, le jeune homme que je vois dans le box , convainc son ami faible et dérangé dans sa cervelle dopée aussi, de mettre son plan diabolique en action. Comme dans un film d’horreur.
Dans la salle du Palais. Deux familles blessées. D’un côté les familles des victimes. Perdre deux de ses trois filles. Perdre son gars! L’insondable souffrance qui se rendait à moi… De l’autre , la famille de l’accusé. J’étais assis là. Figé moi-aussi.Derrière eux.
Lui. Le pauvre papa du garçon coupable. En avant de moi. Je l’ai vu. Les yeux fixés sur son fils.
Toujours son fils. Malgré tout…
Ca sent la tristesse à plein nez dans le palais. Ca sent la douleur extrême. Rien de bien. Normal. Ca sent le gros mal humain. J’ai mal au ventre. On dirait que personne respire. On dirait que la vie est arrêtée. D’un coté, on souhaite que justice soit faite. De l’autre côté, on attend le verdict. En gardant la théorie qu’il faut être  bien malade pour avoir fait ça.
Et qu’il faut autant soigner qu emprisonner
Le juge Bruno Langelier le dira. On verra.


Le procès est toujours en cours. Ce qu’on appelle les représentations sur sentence… Sarah m’explique tout ça. Je comprends mieux. Plus un peu…
Ce vendredi. Au Palais. On raconte que tout le monde pleurait là-ba. Les journalistes. Les avocats de chaque côté. Tout le monde…Même le juge aurait essuyé ses joues…quand la maman du garçon lui a lu sa lettre.
Le jeune meurtrier aussi.
Lui. Le petit lui, on peut s’en foutre qu’il pleure. Il a fait tant de mal. Mais la souffrance quand elle sort, elle étrangle tous les coeurs. Même les coeurs malades.

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LA PEINE
Dans une lettre qu elle adresse au Juge, la maman du garçon assassiné a écrit: « La peine domine ma vie » « Avant j’étais pleine de bonheur. Maintenant je suis dans la peine. » Elle a écrit encore des plus grandes souffrances que cette ligne-là. Sarah a noté les mots de la maman dans son cahier de journaliste. Elle dit: « Je l’entends me dire: Maman j’ai peur. Ils me visent. Toi qui m’a dit plus jeune de ne jamais viser quelqu’un avec mes pistolets jouets » Mais le plus dur c’est quand la maman dit qu’elle regrette d’en avoir mis au monde deux enfants parce qu’il est inhumain de devoir en donner un… Ouf!
S’il est vrai que l’Amour est plus fort que toute la peine du monde, il faut y croire…pour espérer qu’elle s’en sorte.
Sarah m’a racontée qu’au Palais. Tout le monde pleurait sa vie en écoutant ça. C’est bien normal Sarah. Toi-aussi…
LA GRANDE PEINE
Le jeune accusé ne se ressemble à peu près plus! Il a vieillit. Ne bronche pas beaucoup. Fatigué. Étiré. L’enfant qui a tué d’une balle dans la tête les jeunes amoureux… Lui. Le petit lui souffrant. IL est un adulte maintenant. Il est menotté. Encadré par deux gardes. Avec ses cheveux attachés. C’est bien un humain que j’ai vu. Une vraie personne pourtant.
Le processus de la justice suit son cours. Le juge déclarera-t-il à la toute fin, une peine d’adulte comme le réclame la Couronne? Ou accordera-t-il une peine moins sévère parce qu’il était un enfant au moment de commettre l’irréparable?
Au petit lui. OU au grand lui.
Je ne sais pas…
Peu importe. Ni la justice du palais. Rien ne va guérir toute la peine humaine.
Parler d’une peine à vie ou non…la peine a deux sens.
Alors qu’on a tant de peine dans un Palais.
La Peine à vie ou non, ce n’est pas l’accusé qui l’aura.
La vraie PEINE, ce sera toutes les familles qui la vivront toute leur vie.
C’est ça la grande Peine!
Et seul le temps peut guérir…La grande Peine.
Avec le temps…

« Avec le temps…
Avec le temps, va, tout s’en va
Le coeur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien »
Léo Ferré

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Merci Sarah Désiles Rousseau, journaliste à FM 106,9 et 100,1Rythme FM pour ta couverture journalistique dans cette affaire. Pour ta droiture. Ton respect. Ta grande sensibilité. L’avocate en toi nous permet de mieux comprendre ce qui se passe…Ce qu’on vit et comment on peut s’expliquer avec des mots de justice, de couronne et de défense…l’inexplicable.

danielb

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Commentaires

  1. M Brouillette,
    Bravo pour ce texte d’une grande qualité. Il s’agit d’un drame d’une grande tristesse mettant en cause de jeunes gens. Comment vivre suite à la perte d’enfants par la mort et par la démence ? Votre plume est riche de réflexion, de compassion, d’incompréhension et d’enseignement. Beaucoup de gens gagneraient à vous lire.

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  2. Mon grand frère et grand ami Roger, dont tu dois te rappeler, est mort précipitamment. Diabète non contrôlé, les artères qui bloquaient tranquillement, et son coeur a doucement tout éteint. Je garderai toujours l’écho des cris de maman lorsque j’ai du lui apprendre la nouvelle. » Mon fils, mon enfant, non, non »‘ criait elle. Et, elle le savait pourtant tres malade et négligeant de sa santé. Je peux entendre les cris de douleurs des proches qui pleurent la perte des leurs dans cette scène innommable. Tes mots si bien choisis, comme toujours, nous la dessine et fait sans doute ressentir au Québec entier, l’horreur, mais surtout, la profonde crevasse qui doit traversée le corps de ces parents. Oui, moi, je la comprends LA GRANDE PEINE chers mamans et chers papas! Dan, bravo, bravo et encore bravo pour ce partage!

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